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filles de Sartène, douce musique et caressante poésie, quoiqu’elle soit faite avec les rudes mots du patois corse.

Là-bas, on entend cela dans les sentiers tortueux qui grimpent à la Cugna. Ce pays des implacables colères est plein d’amour. Quiconque a écouté ces chansons de la forêt de myrtes s’en souvient, et de la fillette hardie qui les répétait, la cruche sur l’épaule suivie par le troupeau bronzé des enfants pieds nus.

Deux larmes tremblaient aux paupières de Julie ; ce chant lui parlait du passé.

Les grands bois étaient proches. Ils y rentrèrent par une allée ombreuse qui courait droite sous de hauts sapins au feuillage noir.

« Chante aussi, toi ! » dit André.

Julie dégagea son bras et joignit ses mains pour répondre :

« Je t’en prie, parle-moi : je souffre. »

Il y avait un sentier tournant qui se plongeait sous le couvert. André s’y engagea. Au bout de quelques pas, il s’arrêta devant une petite clairière tapissée de jacinthes en fleurs. Le soleil, tamisé par les hauts feuillages, se jouait parmi cette moisson d’azur. Un filet d’eau invisible murmurait derrière les buissons, répondant à cet autre murmure, large comme la voix de la mer au lointain et qui tombait des cimes balancées.

André dit à Julie :

« Assieds-toi. »

Et il s’agenouilla près d’elle.

Il était pâle, mais son œil brillait. Julie entendait son cœur battre.

« Te souviens-tu, murmura-t-il après quelques instants occupés à la contempler si belle dans son croissant effroi, le lendemain de cette nuit où tu consentis