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Certes, l’idée qu’André pouvait avoir commis une action condamnable n’était pas entrée dans son esprit. Mais les femmes ne savent pas. Son imagination allait de l’avant. Qu’avait-il fait pour fuir ainsi ?

Dès qu’elle fut seule, une angoisse sourde serra sa poitrine. Elle eut peur horriblement. Et voyez où s’égaraient ses terreurs ! Elle se dit :

« Si André n’allait pas revenir ! »

André revint. Il était à pied. Il portait un panier et chantait en marchant. Julie s’élança vers lui et lui cria de loin :

« Qui aura pris soin du petit, ce matin ?

— Ah ! ah ! le petit ! fit André. Je songeais à lui justement. Nous allons causer de lui tout à l’heure. »

Toutes ces choses avaient une couleur étrange, extravagante, pourrait-on dire. André aimait follement son enfant.

Il prit la valise. La haie bordait un champ de blé mûr. Il se coula entre deux sillons. Julie le perdit de vue. Il reparut l’instant d’après sans valise.

« Cela nous aurait embarrassé, dit-il. Nous allons faire une partie de campagne. »

Une partie de campagne ! Julie eut le frisson, malgré ce brûlant soleil de juin qui jaunissait les épis, c’était menaçant comme l’éclat de rire des désespérés.

André mit un de ses bras dans l’anse du panier et donna l’autre à Julie en murmurant :

« Le ciel est trop beau pour que Dieu n’y soit pas. »

Julie le remercia d’un regard mouillé. Depuis le matin, elle n’avait pas entendu une si bonne parole.

Ils allèrent tous deux le long de la marge du champ. Julie promenait son regard morne sur la haie fleurie. Elle n’osait plus interroger. André se reprit à chanter ; il chantait un de ces refrains lents que disent les brunes