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par une obésité précoce. J.-B. Schwartz était encore très maigre. Il ne paraissait pas plus de vingt ans. L’aspect général de sa physionomie était une douceur grave, inquiétée par des yeux trop vifs et dont le regard semblait avide.

Son bagage était si mince qu’il put le prendre sous son bras en descendant de voiture dans la cour des Messageries. Les gens qui postulent pour les divers hôtels sont généralement physionomistes, surtout en Normandie : personne ne lui demanda sa pratique. Il se procura l’adresse de M. Schwartz, le commissaire de police, et celle de M. Schwartz, le Suisse pâtissier.

Entre Schwartz parvenus et Schwartz à parvenir, c’est un peu une franc-maçonnerie. Notre jeune voyageur fut très bien reçu chez le magistrat comme chez le marchand ; on lui demanda des nouvelles du pays ; on se montra sensiblement touché de ce fait que son père et sa mère étaient morts tous deux, laissant deux pleines douzaines de Schwartz orphelins en bas âge. Il était l’aîné. En vingt années, sa digne mère avait eu seize couches dont six doubles. Les dames Schwartz sont toutes comme cela, Dieu soit loué.

Il n’eut pas même besoin de dire qu’il venait à Caen pour gagner sa vie ; c’est chose sous-entendue qu’un Schwartz ne voyage pas pour son plaisir. Le commissaire de police et le pâtissier s’écrièrent tous deux à sa vue : « Quel dommage ! si vous étiez venu la semaine dernière… » Mais à présent, Schwartz est installé !

Schwartz était installé chez le Suisse ; Schwartz avait fait son nid au bureau de police : des Schwartz de rechange ; ainsi voit-on, dans les fourrés, des chênes de toutes tailles qui poussent humblement pour remplacer les grands arbres condamnés à mourir.

À l’heure du dîner, notre jeune voyageur se prome-