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quaient en lui un blâme de ce qu’il avait vu et dégageaient cette conclusion qu’en tel cas donné il aurait mieux fait que les juges. Maintenant, non ; les impressions vagues cédaient la place à la rigueur pour ainsi dire foudroyante d’un raisonnement instantané. Le mot preuve, au Palais, ne peut jamais arriver à une signification mathématique, quoique le témoin, en Angleterre, soit appelé une évidence. L’évidence ne peut pas exister, produite par le témoignage des sens d’autrui ; à peine existerait-elle si le jury pouvait entendre de ses oreilles et voir de ses yeux. Il n’y a au Palais qu’une certaine somme de probabilités, un certain degré de vraisemblance, et cela prend le nom de certitude par approximation. André Maynotte, dans son travail mental, n’exprimait pas ces nuances, il les sentait ; son instinct devinait des subtilités vers lesquelles jamais n’avait tourné sa pensée. Il se disait : si j’étais juge, je condamnerais.

La réunion des circonstances qui semblaient l’accuser avait dès lors pour lui quelque chose de fatal ; elles lui sautaient aux yeux, chacune d’elles et toutes, avec une véhémence que nous n’essayerons même pas de rendre. Il n’en était plus à se défendre ; l’arrêt, dans sa tête, était prononcé.

Comme Julie le regardait étonnée, il ajouta de ce même ton bas et froid :

« Habille-toi. »

Et il prêta l’oreille. Un bruit de roues venait par la fenêtre de la cour.

« Le tilbury ! cria-t-on de la maison du loueur, et l’anglais pour M. Hamon, qui va à la foire des Sept-Vents, derrière Caumont !

— On y est ! fut-il répondu de la cour, où les sabots d’un palefrenier sonnaient sur le pavé. Black a son avoine. »