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pour donner un brillant succès à la cause. Le public avait gardé quelques doutes sur la culpabilité des époux Orange, qui étaient tout jeunes : Pierre, un mâle gaillard qui aurait pu gagner sa vie autrement ; Madeleine, une belle et naïve créature, qui ne savait que pleurer quand on parlait de son oncle.

La peine capitale avait été commuée, et, dans le pays d’Argence, on connaissait un valet de charrue qui buvait quatre fois ses gages, depuis le temps, et qui était bien capable d’avoir fait le coup.

En France, la magistrature est respectée autant que respectable, et il ne faut pas trop se plaindre des effrois salutaires dont s’entoure notre justice. Néanmoins, et voilà surtout où gît le renseignement annoncé, étant donné tel caractère particulier, cet effroi peut grandir jusqu’à la terreur. Notre loi ne peut marcher du même pas que nos mœurs : vieillesse et prudence jamais ne se hâtent ; il reste dans le secret de nos instructions criminelles des vestiges gothiques qui, forcément dévoilés à de certaines heures, épouvantent tout à coup la conscience commune. On se demande avec angoisse ce qu’on ferait soi-même et ce qu’on deviendrait sous la pression de cette torture morale que les débats publics viennent un jour révéler.

C’est l’éternel honneur de l’Angleterre. L’instruction s’y fait au grand jour. Le magistrat, loin de remplacer par une excessive sévérité de forme la question abolie, est chargé par la loi même de fournir à l’accusé des avertissements protecteurs. Avant d’entamer ce tournoi de paroles d’où la vérité doit jaillir, le juge, chez nos voisins, ne pousse pas ce cri de guerre que les Peaux-Rouges d’Amérique destinent à étourdir l’ennemi ; l’accusé peut ne pas être l’ennemi. On part de ce principe, il est vrai, par tous pays, mais partir d’un principe est