Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est tout dire. Elles restaient ensuite, sous la garde du souvenir public, comme de sombres légendes, incessamment répétées.

Nous parlions de pressentiments. Ce qui va suivre n’est pas une explication, mais un renseignement.

La ville de Caen, qui devait avoir quelques années plus tard cette tragédie bizarre et terrible, le meurtre de l’horloger Peschard, vivait, en 1825, sur les récents débats de l’affaire Orange.

On a oublié cela : un clou chasse l’autre, et la période qui suivit la révolution de Juillet fut si malheureusement féconde en exploits de Cour d’assises, que la célébrité des époux Orange s’étouffa dans cette avalanche de crimes.

Les époux Orange, fermiers au pays d’Argence avaient été condamnés, en août 1825, par la Cour royale de Caen, à la peine de mort, comme coupables de meurtre commis, de complicité, avec préméditation, sur la personne de Denis Orange, leur oncle paternel. C’était une de ces lugubres causes, où l’avidité villageoise joue le rôle principal. Chaque année, l’avarice des campagnes tire quelque nouvelle édition de cette hideuse bucolique : un vieux paysan a l’imprudence de céder son bien à ses neveux, sous condition d’être nourri, logé, soigné jusqu’à sa mort. C’est une sorte de vente à fonds perdu. Un tel contrat renferme naturellement, du côté des neveux, cette stipulation implicite que l’oncle ne mettra pas trop de temps à mourir. Si l’oncle abuse et s’attarde, on lui coupe la gorge avec une serpe, à moins qu’on ne le jette dans un puits. Chacun sait cela dans les paroisses ; néanmoins, il y a toujours de vieux oncles pour accepter ainsi la dangereuse hospitalité de leurs héritiers.

Il s’était présenté ici des détails assez repoussants