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de graisse et de sommeil ; le quai reprenait ses affaires, les cabarets, toujours pressés, s’ouvraient dans les rues de la basse-ville, et l’armée des campagnards envahissait le marché.

Campagnards et citadins, du reste, bateliers, ouvriers, fermiers, ceux qui achetaient et ceux qui vendaient semblaient parfaitement tranquilles. Aucune émotion extraordinaire n’agitait la halle, cette Bourse des ramages populaires où tout curieux peut interroger si aisément le pouls d’une cité. Caen avait dormi tranquille et rien ne semblait avoir troublé la monotone quiétude de sa nuit.

D’habitude, la devanture d’André Maynotte s’ouvrait bien avant les volets du commissaire de police. André n’avait peut-être pas reçu de la nature cette âpre activité du commerçant par vocation qui violente la fortune et fait argent de toutes les minutes ; mais un autre sentiment, plus fort que la cupidité même, le jetait chaque matin hors de son lit. Il était fourmi par amour. Il s’était donné cette tâche d’élever Julie au-dessus de l’humble niveau qui pesait sur son front si jeune, si beau, si fier. La destinée de Julie était de briller ; en lui-même, il avait promis des rayons à son astre et il travaillait sans relâche, car il était fort et patient. Les gens comme lui parviennent à coup sûr ; il avait la volonté indomptable, le talent qui la féconde et ce droit honneur qui reste, quoi qu’on dise, la meilleure des habiletés. Pour arrêter ceux-là, il faut la foudre qui frappe çà et là dans le tas humain, touchant un homme sur cent mille ! et qui donc compte avec ces hasards de la foudre ?

Ce matin, pourtant, les volets du commissaire s’ouvrirent avant la devanture d’André Maynotte. Il y avait je ne sais quoi d’anormal au premier étage.