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« Bonhomme, il ne serait pas sain pour vous de changer un billet de banque dans ce pays-ci. Voilà de la monnaie pour voyager. Je pense à tout, moi ; bonne chance ! Hue, Coquet ! »

Le petit Breton enleva cette fois la carriole, qui disparut en moins d’une minute sous la voûte de feuillage.

Comme accompagnement à ses derniers mots, M. Lecoq avait jeté deux pièces d’or et quelque monnaie d’argent aux pieds de J.-B. Schwartz. Rien ne lui coûtait, ce matin, à ce magnifique commis-voyageur. Il donnait sans compter et semait littéralement les bienfaits sur sa route.

J.-B. Schwartz ne ressemblait pas, même de loin, aux chefs-d’œuvre de la statuaire antique ; mais comme il ne bougeait ni ne parlait, vous l’eussiez pu prendre tout au moins pour une de ces effigies du dieu Terme, que nous nommons aujourd’hui plus simplement des bornes. L’or, l’argent et le billet de banque restaient là dans la poudre, devant lui ; il ne se baissait point pour les ramasser ; il était de pierre.

Bien longtemps après que le bruit des roues et le galop de Coquet eurent cessé de se faire entendre, il était encore à la même place, immobile et debout.

Ses yeux, obstinément fixés sur le sol, dénotaient, soit une laborieuse méditation, soit une complète stupeur.

L’aube s’était faite, puis le crépuscule, puis le jour ; le soleil levant jouait gaiement dans les interstices de la haie.

J.-B. Schwartz ne bougeait pas.

Quand il bougea enfin, ce fut pour s’affaisser, assis au rebord du fossé. Ses jambes se dérobaient sous lui. Son front brillait de sueur et il avait la larme à l’œil.