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coin de l’œil. En cas de bataille, les parieurs n’auraient pas été pour J.-B. Schwartz, dont la taille grêle faisait ressortir la riche carrure de son voisin ; mais, à bien considérer cette figure aiguë, cette prunelle inquiète et perçante, notre Alsacien n’était pas non plus de ceux qui se laissent étrangler comme des poulets. Il y a diverses sortes de courage et j’ai connu des trembleurs qui mordaient bel et bien.

Ils sont en garde, voilà leur force. La peur les prend d’avance ; ils épuisent la peur, et l’instinct de la conservation leur sert de vaillance. À Guebwiller, nous ne sommes pas tous des héros, mais essayez de tordre le cou d’un Schwartz et vous verrez que c’est une rude besogne.

M. Lecoq se tourna brusquement vers le nôtre et le regarda de haut en bas. Il était de bonne humeur ; la mine du jeune Alsacien le fit éclater de rire.

« Eh ! Jean-Baptiste ! s’écria-t-il, vous avez l’air d’un homme qui se dit : « Je serais bien contrarié si on me brûlait la cervelle. » Il y a comme ça de mauvaises histoires, pas vrai, dans les journaux ?… Tiens, tiens ! bonhomme ! s’interrompit-il en le considérant avec plus d’attention, tu te défendrais un petit peu, oui ! Où en étions-nous ? Au mari ? Non, à l’Être suprême. Voilà donc le fin fond de la question, hé ! L’Être suprême, c’est comme qui dirait le directeur de la grande loterie. Ça vous amuserait-il d’avoir un quine, Jean-Baptiste ? »

L’œil de Schwartz s’était assuré sous le regard du commis-voyageur. Il resta froid et répondit avec calme :

« C’est selon, Monsieur Lecoq.

— Tiens, tiens ! fit encore celui-ci. Est-ce que tu vaudrais la peine qu’on te parle en bon français, Jean-Baptiste ?