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petits services pour entretenir l’amitié qui nous lie… Je t’ai donc parlé d’un mari, bonhomme, hé ?

— Vous m’avez dit…

— Le jeu, le vin, les belles ! Je veux bien qu’il y ait un mari, moi, Jean-Baptiste, si ça fait ton bonheur. Laquelle préfères-tu ? La brune ? la blonde ? Moi, mon faible cœur balance entre les deux. Crois-tu à l’Être suprême ? Oui, hé ? Je ne saurais t’en blâmer. On retrouve cette croyance chez tous les peuples de l’univers. Voltaire lui-même ne s’y oppose pas : c’était un homme capable. Seulement, crains le fanatisme qui ne recule pas devant les excès de la Saint-Barthélemy. Quelle petite drogue que ce Charles IX, hé, bonhomme ? Tu t’en moques ? Et moi, donc ! Voilà le fait : il n’y avait pas plus de mari que dans le creux de ma main. »

Tout cela était dit d’un ton de grave goguenardise. Notre jeune Alsacien était un esprit sérieux, s’il en fut, prenant les mots pour ce qu’ils valent et qui n’avait pu s’habituer encore à l’argot bizarre, usité dans les bas ateliers, dans les bas théâtres, dans le bas commerce, argot qui semble destiné à remplacer décidément la langue de Bossuet pour l’usage du petit Paris. Il écoutait, bouche béante, toutes ces incohérences. Néanmoins, l’idée ne lui vint point que son compagnon eût perdu le sens. Sa naïveté n’était pas sans clairvoyance. Il eut peur et songea que cette route déserte était bonne à cacher un meurtre.

Il eut réellement peur. Le dernier mot de M. Lecoq, surtout, le fit frissonner.

Vaguement, il avait conscience d’être entré trop avant dans un dangereux secret.

C’était un chemin creux où l’aube naissante glissait à peine quelques lueurs grises par-dessus deux haies énormes. J.-B. Schwartz regardait son camarade du