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toute, mais toute, par une pente naturelle et fatale, vers ces caisses opulentes, vastes rivières qui réunissent les filets d’or épars. En fait d’argent, J.-B. Schwartz était un penseur et un philosophe ; il avait deviné la loi mystérieuse de gravitation qui pousse les sous vers les louis.

Il sortit de Caen vers minuit. Trois heures de ténèbres à tuer, c’est plus long qu’on ne le pense. J.-B. Schwartz s’assit bien des fois sur le bord du chemin, agitant cette question suprême : « Aurai-je mes cent francs ? N’aurai-je pas mes cent francs ? »

Malgré ses lenteurs calculées, il arriva au lieu du rendez-vous bien longtemps avant le moment fixé. Il attendit. À mesure qu’il attendait, l’espoir diminuait, car les Schwartz de provenance directe sont gens de bon sens avant tout, et la conduite de M. Lecoq outrageait la vraisemblance. Cent francs ! Pourquoi cent francs ? Moyennant un demi-louis, M. Lecoq eût acheté de même la complaisance de J.-B. Schwartz, à supposer, néanmoins, qu’il s’agît d’une chose honnête ; notons bien cela ; pour obtenir de J.-B. Schwartz une chose déshonnête, dans le sens légal du mot, cent mille francs n’auraient pas suffi. Ce chiffre de cent francs riait au nez du prudent et sage Alsacien : ce ne pouvait être qu’une cruelle plaisanterie.

Si vous saviez comme il avait peiné depuis qu’il était hors de Guebwiller, sans jamais réussir à mettre de côté les vingt larges pièces blanches qui composent cette somme de cent francs !

Et pourtant, si ce Lecoq était fou ! Autour des halles, à Paris, il y a des banquiers en plein air qui sont les bienfaiteurs des quatre saisons. L’usure n’est qu’un mot, selon les meilleurs esprits, et les timidités du Code à son égard sont le symptôme de la dévotion moderne.