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espérant tout, ne craignant rien, — et le vainqueur qui a désormais quelque chose à perdre.

Ce foulard, noué aux quatre coins, mis dans une balance, n’aurait pas enlevé le poids d’un kilogramme. Il écrasait pourtant M. Lecoq, au point que nous aurions eu peine à le reconnaître.

Cet effronté luron de tout à l’heure, nous l’eussions retrouvé inquiet, craintif, malade. Son front avait de la sueur froide. De loin, il prenait les chênes pour des gendarmes.

Par moments, il parlait tout seul ; il parlait de J.-B. Schwartz, du papa Lambert, le cabaretier du cul-de-sac Saint-Claude, et d’un autre personnage encore qu’il désignait sous ce nom bizarre : l’Habit-Noir. Il disait : « Une autre fois, je ne partagerai avec personne !… »

Et le bruit d’une branche, agitée par le vent, lui donnait le frisson, — et le pas furtif d’un lièvre, trottinant derrière la haie, arrêtait le souffle dans sa poitrine.

La nuit est pleine de ces voix qui font peur. Il y a surtout les rameaux de certains chênes qui conservent en plein été les feuilles de l’autre année. Quand la brise les touche, ils sonnent sec, comme si la marche d’un homme les écartait tout à coup.

M. Lecoq, nous pouvons l’affirmer, n’en était pas à sa première affaire, mais il n’avait que vingt-deux ans, et nous le verrons mûrir.

Il arriva au taillis sans avoir rencontré âme qui vive. Le cheval broutait, la carriole était à son poste. M. Lecoq poussa un soupir de soulagement quand il eut repris possession de son pantalon à carreaux, de son gilet brillant et de sa fine jaquette. Le plus fort était fait, manifestement ; le sang-froid revenait. Ce fut d’un air déjà crâne qu’il posa sur l’oreille sa casquette de voyage.