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quelque chose dans un foulard ; ce n’était ni dur ni lourd et cela ne le gênait point pour sauter les talus. Il marchait très vite, quand il trouvait un couvert ; en plaine, il allait les mains dans ses poches, le dos voûté, les jambes flageolantes ; vous eussiez dit un paysan ivre qui a perdu le chemin de son logis. Cela se rencontre en Normandie comme ailleurs.

Il faisait de long détours pour éviter les métairies parsemées dans la campagne. Un chien qui hurlait au loin l’arrêtait tout tremblant. Ses yeux vifs et inquiets perçaient la nuit. Nous avons vu déjà M. Lecoq dans des situations bizarres et difficiles : sa conversation avec J.-B. Schwartz, le mensonge de son rendez-vous amoureux, son voyage interrompu, le soin qu’il avait pris de cacher sa voiture et son cheval, son déguisement, son retour à la ville, son affût sous la porte cochère pour épier le passage du commissaire de police et surveiller la façon dont le même J.-B. Schwartz accomplirait sa mission, en apparence si futile ; enfin, sa visite au papa Lambert, le cabaretier du cul-de-sac Saint-Claude, nous ont mis surabondamment à même de deviner que M. Lecoq faisait un autre métier que celui de commis-voyageur en coffres-forts. Dans ces diverses circonstances, qui toutes dénonçaient une bataille prochaine, la physionomie de M. Lecoq, pour nous, ne s’est point démentie : nous avons vu un gaillard hardi, résolu froidement et portant dans l’accomplissement d’un périlleux projet une sorte de gaieté de mauvais goût.

Tel était l’homme, en effet, mais il y a l’affaissement qui suit la bataille gagnée ; il y a surtout le poids, le poids énorme du butin conquis. Regardez autour de vous et voyez la différence profonde qui existe entre le combattant fanfaron, lancé à corps perdu dans la lutte, n’ayant rien avec lui pour le gêner, rien derrière lui,