Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand nous arrivâmes de Corse. Il est vrai que nous sommes à Caen, et que nos débuts ont été plus que modestes ; mais si on n’a pas besoin, ici, de fonds considérables pour s’établir, les débouchés sont petits et rares ; je regarde notre pauvre succès comme un miracle. À Paris seulement, dans notre partie, on peut arriver à la fortune. »

Julie approuva d’un signe de tête.

« L’armurier Gossin, poursuivit André, m’a offert hier douze mille francs de mes marchandises et de mon achalandage. »

Julie eut un mouvement de joyeuse surprise.

« Il en donnera quinze, ajouta André Maynotte, mais ce n’est pas tout. M. Bancelle, le banquier, va m’acheter le brassard.

— Lui ! si économe !…

— C’est un ricochet de sa manie. Ce soir, après m’avoir parlé de sa caisse pendant deux heures, et comme j’allais me retirer, il m’a dit : « Tenez-vous beaucoup à vendre comme cela des brassards » ? Je ne devinais pas où allait sa question ; il s’est expliqué, ajoutant : Bon engin pour les voleurs, cela, monsieur Maynotte ! Vous comprenez bien qu’avec un homme qui vend des brassards, on n’est pas en sûreté dans une ville ! » Et comme je ne saisissais pas encore : « Parbleu ! » a-t-il repris, « avec vos brassards, il n’y a pas d’ingénieux système qui tienne ! Que peut ma mécanique ? Étreindre le bras d’un larron. Eh bien ! si le larron a un brassard, il retirera son bras tout doucement et s’en ira avec mes écus, laissant son coquin de fourreau entre les griffes de mon système… »

Julie éclata de rire bruyamment, et sa gaieté, comme il arrive aux heures de surexcitation, dura plus longtemps qu’il n’était à propos.