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lèvres des ivresses parfumées ; les tièdes haleines de cette nuit d’été lui donnaient des frissons profonds où l’angoisse inexplicable se mêlait à d’indicibles voluptés.

Julie, veloutant sa voix sonore et douce, demanda pour la seconde fois.

« André, qu’as-tu donc à me dire ?

— Tu es heureuse, répondit celui-ci, tu m’aimes, mais tu n’es pas dans ta sphère. Quand je pense à toi, je te vois toujours exilée. Les femmes de notre pays interrogent souvent la destinée… »

Julie se mit dans l’ombre pour cacher sa rougeur.

« Enfant chérie, poursuivit André, si le présent te plaisait, chercherais-tu l’inconnu à venir ?

— Ne peut-on demander aux cartes autre chose que la fortune ? murmura la jeune femme.

— Quoi donc ?

— Quand je te voyais passer, là-bas, dans la campagne de Sartène, j’arrachais les feuillettes des marguerites, une à une, et je disais : « M’aime-t-il un peu ? beaucoup… ? »

André lui ferma la bouche dans un baiser.

« Passionnément, acheva-t-il d’un accent presque austère. Vous n’avez pas besoin des cartes pour savoir cela, Julie, ni des fleurs.

— C’est vrai, s’écria-t-elle en jetant ses deux bras autour de son cou. J’ai essayé de mentir. Tu m’as dit vous et je suis punie. Non, ce n’était pas pour savoir comme tu m’aimes que j’ai fait les cartes. Il y a des jours où j’ai peur. Sommes-nous assez loin de ceux qui te haïssent ? »

Puis secouant sa tête charmante et de cet accent résolu qui dit la vérité :

« Mais non, poursuivit-elle, ce n’était pas cela, André… ou du moins, c’était pour autre chose en-