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— Voilà qui est bien grave, dit Julie en se forçant à rire. Ai-je péché ? Alors, gronde vite ! »

Ils arrivaient au bout de la place des Acacias. Il y avait un banc de bois, derrière lequel un réverbère pendait à deux arbres. André s’arrêta et s’assit, faisant avec son bras arrondi un dossier à la taille de Julie.

« Je ne gronde pas, reprit-il en baissant la voix et plus affectueusement. Est-ce toi ? est-ce moi ? qu’importe ? Il se peut que nos deux pensées naissent ensemble. Ce qui est certain, c’est que nous sommes agités tous deux, et qu’il y a pour nous quelque chose dans l’air comme si notre condition allait changer…

— Dieu le veuille ! » s’écria étourdiment la jeune femme.

Il y eut un silence, et Julie, toute repentante, ajouta :

« André, mon André, tu sais si je suis heureuse avec toi !

— Je le sais, chérie ; du moins, je le crois… et, si je ne le croyais pas, que deviendrais-je ? Mais tu as du sang de grande dame dans les veines, et je t’en aime mieux pour cela… Ces toilettes que tu regardes t’iraient si bien ! Il semble qu’elles sont à toi, ma femme, et que les autres te les ont volées. »

Julie l’appela fou, mais elle lui donna son front à baiser.

La lumière suspendue que la brise nocturne balançait éclairait par-derrière les masses de sa riche chevelure, et brillantait le duvet de son profil perdu. André Maynotte était à l’une de ces heures où l’extase trouve ouvertes toutes les portes du cœur, et Julie à l’un de ces moments où la beauté même, embellie, rayonne d’étranges éblouissements.

André regardait ses yeux, pleins de lueurs mystérieuses ; il lui semblait qu’on pouvait boire sur ses