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ayant des rapports également bienveillants avec Monsieur et avec Madame, nul n’aurait su dire lequel des deux il servait le mieux. La comtesse Corona ne servait ni l’un ni l’autre, et pourtant, elle aussi, avait des yeux de lynx.

Michel s’était réfugié au quatrième étage de la rue Notre-Dame de Nazareth. Ils étaient là trois amis dans une situation pareille, en train de fatiguer le sort contraire et n’attendant qu’un peu de bonheur pour éblouir leurs contemporains. Les deux compagnons de Michel étaient des poètes, transfuges aussi de la maison Schwartz, où l’on n’admettait, en fait de poésie que le petit commerce de Savinien Larcin et l’industrie de Sensitive. Il y a place pour tous au soleil de l’art ; les deux compagnons de notre Michel avaient déserté, pleins de confiance, les bureaux Schwartz pour cingler de conserve vers l’immortalité. Michel n’avait pas des ambitions moins vastes. À eux trois, ils se partageaient le monde. Jusqu’à présent, rien de ce qu’ils souhaitaient ne meublait leur mansarde, mais ils avaient la jeunesse et l’espoir qui sourit aux enfants amoureux.

Un matin, Domergue, profitant de l’absence de Mme Sicard, pénétra dans l’appartement de la baronne et lui dit :

« L’oiseau a perdu hier mille écus à la roulette. Ça finira mal. Il doit à Dieu et à ses saints. Ce n’est pas Madame que la chose regarde, c’est Monsieur ; mais Madame est si bonne !… »

Ce Domergue avait conservé un faible pour Michel. Il le surveillait pour son propre compte et ne se doutait pas encore du service qu’il rendait à la baronne en agissant ainsi.

Mme Schwartz, en toilette de bal, car elle ne choisissait pas ses heures de liberté, monta, ce soir-là