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l’honnête criminel que les imperfections de notre société obligent, ah ! bien malgré lui ! à voler ou à poignarder, c’est la livrée de l’ignominie.

Prêtres, magistrats, banquiers, avocats, courtisans, religieuses, huissiers, académiciens, députés, courtiers marrons sont uniformément habillés de noir. Les maréchaux de France eux-mêmes quittent leurs broderies pour se mêler à la vie commune. Le noir, on peut le dire, est, au dix-neuvième siècle, une enveloppe qui recouvre toutes les puissances et toutes les noblesses, toutes les ambitions et toutes les opulences, toutes les conquêtes, tous les succès, toutes les gloires.

Si bien que, pour entamer la lutte, il faut déjà que le simple soldat revête ce cabalistique uniforme, et que les vaincus eux-mêmes l’endossent pour cacher leurs revers.

Quel titre ! pesez seulement et comptez ! D’un côté, tous les heureux dont le royaume est de ce monde, de l’autre tous les misérables qui attendent, qui envient, qui espèrent. Il n’y a pas à hésiter. Les heureux forment une minorité infime ; en bonne librairie, il s’agit de donner le beau linge à dévorer à la grosse toile. On a, ce faisant, le double profit d’être un écrivain magnanime, et de forcer la vente.

Sait-on bien ce que ce mot magique : la vente, peut enfanter de plaidoyers chevaleresques et désintéressés !

Et si le sujet, considéré à ce point de vue, semble trop large, trop vague, trop périlleux aussi, que diriez-vous de ce thème : la misère, cachée sous les dehors de l’élégance ? L’habit noir pris comme ce domino des bals masqués qui déguise parfois la vieillesse, la jalousie, la vengeance ?

C’est banal, il est vrai, et vieux comme le béotisme littéraire ; cela court les rues, et les romanciers du ruis-