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j’emplis à prix d’or. Chaque tête de grand monde me coûte dix sous ; je n’ai pas honte d’employer ainsi mes économies.

Au fond, le grand monde n’a que faire dans cette histoire de brigands, racontée honnêtement et paisiblement, sans un seul mot d’argot, sans un seul sermon généreux. Il n’y a jusqu’à présent ni boue ni écusson, quoiqu’il soit reçu, en bonne philosophie de mélodrame, que l’une est destinée à éclabousser les autres. J’ai peur d’avoir commis une impure platitude en n’insultant, chemin faisant, aucune cathédrale ni aucun palais. Je n’ai pas même su placer, que l’Être suprême me vienne en aide, ce membre du parquet, bilieux et verdâtre, qui cache sous son habit noir toute une pharmacie de vitrioliques passions.

J’ai prononcé le mot malgré moi, car nulle force humaine ne peut dissimuler un remords. Les Habits Noirs ! Quel titre cela donnait ! des menaces ! des promesses ! Tout le venin qui jaunit les petits, toute l’insolence qui pléthorise les grands ! L’éternelle bataille, la guerre sociale, l’Iliade du Vice en linge blanc, gras, repu, content, assiégé par mille Vertus en blouse, maigres, affamées, haineuses et aspirant, comme c’est leur droit, à monter, à se vêtir, à manger pour devenir vices à leur tour, car les hommes sont frères !

Les Habits Noirs ! Les monstres ! J’en ai connu, en 1848, qui prirent la veste par pudeur et par frayeur, tant ils sentaient bien le crime de ce frac indécent. On ne rencontrait plus un seul vicomte de lettres ou de bourse. Mon cordonnier trouva à vendre son titre à un marquis insolvable.

Les Habits Noirs ! songez donc qu’ils ont tous des habits noirs dans ces cavernes : au palais, à l’église, au tribunal de commerce, au conseil d’État. Pour