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Il n’est personne qui n’ait reçu des lettres anonymes ainsi fermées.

Mme Schwartz considéra longuement et attentivement l’écriture de l’adresse qui était courante et ne semblait point contrefaite. Elle ouvrit enfin le pli et parcourut la lettre comme on fait d’une chose déjà lue. Mais, la lettre achevée, elle la recommença une fois, dix fois. On eût dit qu’un monde surgissait pour elle de cette feuille presque blanche, au centre de laquelle trois lignes laconiques se serraient étroitement et n’étaient suivies d’aucune signature.

Tout un monde ! tout un passé lointain déjà et si différent du présent, qu’il semblait le mensonge d’un poëme.

Il est des gens qui vivent deux existences successives, dont l’une fait si bien contraste avec l’autre qu’ils ne se reconnaissent plus eux-mêmes, pareils à ces sectateurs de Pythagore qui se demandent vaguement, dans leur rêve éveillé, quand ils lisent l’histoire ancienne : n’étais-je par celui-ci ou celui-là ?

C’est, dans toute la rigueur du terme, la métempsycose : l’âme a changé de maison.

Mme Schwartz replia la lettre avant d’avoir prononcé une parole.

Elle poussa un soupir profond et se leva. Dans cette nouvelle posture, son regard rencontra sa propre image dans la glace de Venise qui s’encadrait magnifiquement au-dessus de la cheminée.

Elle sourit avec une sorte d’incrédulité.

« Ce sont deux rêves ! » murmura-t-elle.

Mais les lignes de son visage, correctes et si pures qu’elles semblaient taillées dans le marbre, subirent un retrait soudain. Elle souffrait. La glace de Venise le lui dit. Elle se redressa et ne tourna le dos qu’après