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M. Lecoq était reçu chez M. Schwartz, qui l’accueillait fort bien ; il y avait entre eux je ne sais quels petits mystères qui n’étonnaient personne, car tout million militant a besoin de son Lecoq.

La chose singulière, c’est que Mme la baronne Schwartz aussi semblait prendre goût à la sorcellerie.

Un matin, M. Schwartz s’éveilla de mauvaise humeur ; cela n’arrivait pas souvent : c’était un homme heureux et d’excellent caractère. Il y avait à peu près un an que Michel était sorti de l’école, et sa faveur touchait à son apogée. Il menait de front en effet le plaisir et les affaires ; c’était sans contredit le plus brillant de ces sous-lieutenants de finances qui ont dans la poche de leur paletot un bâton de maréchal. La première personne qui vint voir M. Schwartz, ce matin-là, lui apprit en riant que Mlle Mirabel était éprise follement de Michel qui lui tenait rigueur.

M. le baron fut triste ; ce n’était pas qu’il aimât Mlle Mirabel ; il n’aimait que sa femme. C’était qu’il passait la quarantaine et qu’après quarante ans, on ne rit plus si aisément à ces comédies.

Il y avait en outre les rigueurs de Michel envers Mlle Mirabel. Michel lui rendait des points : humiliation double.

Au déjeuner, Mme la baronne lui parut si belle qu’il eut un coup au cœur. La baronne, ce jour-là, ressemblait à une femme qui s’éveille d’un long repos d’indifférence. Il y avait des années que le baron ne lui avait vu ce sourire vivant et divin. Ou plutôt, l’avait-il jamais vu ? Il avait beau chercher, il ne s’en souvenait point. Parfois, ces transfigurations sont dans l’œil même de celui qui regarde ; on voit mieux tout à coup, ou du moins on voit autrement ; mais l’humeur de M. Schwartz teignait ce matin en noir tout ce qui