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suivre le cher développement de ce germe ; mais cette prosaïque histoire n’a pas le loisir de s’attarder aux détails.

La vue de Michel faisait rougir Edmée. Quand elle chantait devant lui, sa voix tremblante avait d’autres accents. Michel travaillait quinze grands jours pour vivre quelques heures. Son effort avait un but : il aimait déjà comme un homme ; il le savait. Edmée ne savait pas encore.

Quand Michel eut seize ans, M. Schwartz l’examina et fut pris d’un naïf orgueil à l’aspect de ce qu’il crut être son ouvrage. Michel avait marché à pas de géant ; c’était une intelligence robuste, vive, précise : il s’était joué littéralement des difficultés de l’étude, et l’École du commerce ne lui pouvait plus rien apprendre.

« Digne d’entrer dans mes bureaux ! lui dit M. Schwartz. Positif ! »

Michel était véritablement un beau jeune homme, grand, svelte, gracieux de taille, portant sur son visage imberbe une gaieté vaillante et distinguée. Le jour où il abandonna le frac bleu du collégien pour prendre l’élégant uniforme de notre monde, transition fâcheuse d’ordinaire, il produisit une véritable sensation dans le salon de Mme la baronne. Les femmes le remarquèrent, rêvant peut-être une éducation à parfaire, et nul parmi ces messieurs ne s’avisa de railler. Edmée fut toute glorieuse et à bien meilleur titre que M. Schwartz.

Et pourtant M. Schwartz était plus glorieux qu’Edmée elle-même. Il avait les capricieux enthousiasmes des arrivés. Il dit à sa femme en lui montrant notre héros :

« Mon œuvre ; un mari pour notre Blanche ! Idée ! »

Mme Schwartz eut un de ses beaux sourires, et regarda Michel attentivement pour la première fois peut-être.