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grave avait prononcé le nom d’Edmée. Quelle jolie chose qu’un nom ! Michel aurait donné tout au monde pour voir Edmée, lui qui au monde n’avait rien.

Mais Edmée ne sortait jamais, ou peut-être sortait-elle aux heures où Michel était en classe. Une grande semaine se passa sans que Michel aperçût la fille ni la mère, car il était bien certain que l’autre voix appartenait à la mère.

Il n’osa interroger le concierge qui le glaçait de respect. Tous les soirs le piano chantait. Michel savait déjà qu’elles étaient pauvres ; de l’autre côté de la cloison, la mère avait dit une fois : « Couche-toi, mon Edmée, pour économiser la chandelle. »

Certes, Michel ne savait pas que le mot chandelle avoue la gêne plus cruellement encore que le mot économie lui-même.

Et puis, la pauvreté, quel grand mal ! Michel n’était pas riche. Pourtant il eut le cœur serré.

On était en hiver. La gelée mettait des feuillages de cristal aux croisées de sa mansarde, et il ne s’en apercevait guère.

À la ferme aussi, maman Péchet se montrait impitoyable pour les prodigalités de chandelle.

Mais comment voir Edmée ? Michel en perdait l’esprit. Son premier tour d’écolier vint de là. Depuis qu’il avait quitté la campagne, Michel n’était plus l’enfant rieur, le pâtour hardi ; Paris l’opprimait et l’effrayait. Le maître de sa classe lui semblait être un géant ; il regardait d’en bas ce puissant M. Domergue à des hauteurs que nous ne saurions point mesurer ; l’espièglerie était morte en lui en même temps que la gaieté. Aussi ce fut en tremblant bien fort qu’il acheta une vrille de deux sous, à l’aide de laquelle il fora un tout petit pertuis dans la cloison de planches.