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avait bu sa ch’pine de cidre dur, pouvait dormir trois heures durant sans cesser de tourner son rouet ni de filer sa quenouille.


XI

Première aventure.


En ce temps-là, Michel n’avait ni regrets ni désirs ; ce fut plus tard seulement que naquirent ces vagues souvenirs de sa petite enfance. La tranquille vallée où était la ferme, et le coteau charmant que l’église coiffait de son clocher semblable à une poire de bon-chrétien, grise et mûre, renversée parmi les feuillages, formaient pour lui tout l’univers ; il excellait à tresser les fouets de corde et ces bandes dentelées qui font les chapeaux de paille ; au printemps, il tombait droit sur les nids de fauvette, comme un chien sur une piste. Le bonhomme et la bonne femme Péchet ne le faisaient pas plus travailler qu’il ne fallait pour l’éreinter ; on ne lui reprochait pas trop durement le pain qu’il mangeait, et ceux du bourg convenaient déjà qu’il était un beau petit gars.

La ferme faisait partie d’un domaine considérable que la révolution n’avait point morcelé et qui appartenait à un très vieux gentilhomme, vivant à Paris. Le vieux gentilhomme vint à mourir sans postérité ; un demi-cent d’héritiers normands s’abattirent aussitôt sur son héritage et les tribunaux ordonnèrent la mise en vente du domaine. C’est le moment où prennent leur vol ces corbeaux mangeurs de châteaux, qu’on appelle la Bande-Noire ; il y a eu chez nous des centai-