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brusquement cette période de son existence. Il y eut un jour un grand tumulte dans la maison, des terreurs, du bruit, des larmes. Ceci se passait dans une ville de province, car Michel se souvenait d’une étroite rivière et d’un vieux pont lézardé, bien plus petit que ceux de Paris.

Nul chagrin, du reste ; point de larmes, car la rude et bonne figure de sa nourrice souriait près de son berceau. Celle-là, il l’eût reconnue. Elle lui disait : « Ils reviendront. »

Une femme en deuil vint en effet ; était-ce sa mère ?

Une nuit, il eut peur, parce qu’une carriole l’emportait cahotant par les chemins. Et il ne revit plus sa nourrice.

Tout cela était en lui comme la trace confuse d’un songe.

Ses souvenirs plus précis s’éveillaient dans une riche campagne normande : de larges moissons, des prés verts où les bestiaux fainéants se vautraient dans l’herbe humide et haute ; une ferme basse d’étage avec une cour énorme où il vit pour la première fois battre le blé : riante fête. Ici se présentait pour lui un détail qu’il sentait mieux que nous ne pourrons l’exprimer. Il lui semblait qu’au début de son séjour dans la ferme, car ce fut là qu’il grandit, on le traitait en fils de la maison, mieux que cela, même, en pensionnaire qui apporte une richesse au logis ; puis, peu à peu, les choses changèrent, et, à huit ans, il se voyait petit domestique de labour, employé sans façon aux plus infimes besognes. En somme, le père Péchet et sa femme étaient de braves gens ; le bonhomme racontait, le soir, au coin du feu, ses procès, comme un vieux soldat radote ses campagnes, et la bonne femme, quand elle