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À quelque chose malheur est bon, dit le proverbe ; serait-il vrai qu’on puisse gagner peu ou beaucoup en tombant ?

Selon l’histoire ancienne, les amazones se faisaient tailler le sein droit ; les ténors d’Italie se font arracher les notes graves ; les coureurs de profession jettent leur rate aux chiens : pourquoi garder ces objets qui gênent ? À Paris, à tous les coins de rue, vous trouverez des chirurgiens qui vous couperont le cœur. Ils vont en ville. Et vous ne sauriez croire quels gaillards on produit à l’aide de cette opération en apparence si simple ; l’amputation du cœur !

Michel, notre héros, avait gardé son cœur ; ses amis prétendaient même que c’était un grand cœur. Les cahots de la route l’avaient bien meurtri çà et là, et la malaria de Paris faisait ce qu’elle pouvait pour mettre la gangrène égoïste dans le vif de ces blessures, mais… au demeurant, le mieux est de vous raconter en deux mots l’histoire de Michel, ou du moins ce que Michel savait de son histoire.

Michel se souvenait vaguement, mais vivement, d’avoir été un petit enfant heureux, choyé, gâté, dans une maison tranquille où son père et sa mère, un beau jeune homme et une douce jeune femme, s’aimaient. Où était cette maison ? Il ne savait ; la lui eût-on montrée, il n’eût point su probablement la reconnaître, tant l’image était confuse et l’impression lointaine. Le jeune homme et la jeune femme n’avaient pas pour lui d’autre nom que maman et papa. Il les voyait encore au travers d’un nuage ou d’un rêve : la mère brodant et souriant, le père occupé à un travail manuel que Michel n’aurait pas pu définir, mais qui noircissait les doigts et mettait de la sueur au front.

À son estime, il pouvait avoir trois ans quand prit fin