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démentaient cette féerie, il ne s’endormait jamais sans se voir, tout petit enfant, dans un berceau bordé de dentelles. Puis venait un homme noir avec le manteau, le fameux manteau qui cache les enfants qu’on enlève. Michel se souvenait presque d’avoir étouffé sous le manteau. Combien sa mère avait pleuré ! Et son père, — monsieur le comte ! Ils cherchaient peut-être depuis le temps !

Entre onze heures et minuit, Michel vous avait de ces imaginations naïvement ingénieuses que n’eût point désavouées la poésie toute parisienne de Similor. Il lui était arrivé de s’éveiller en sursaut au seuil du château de ses pères.

Il riait alors, car il était du siècle et savait railler sa propre conscience ; mais il ne riait pas de bon cœur. Les tristes murailles de sa chambrette, éclairées par un rayon de lune ou par cette lueur qu’envoyait la lampe des voisines, lui sautait aux yeux comme une condamnation.

J’ai dit la lampe des voisines ; quoique la vieille malade fut seule en ce moment, les voisines étaient deux. La malade avait une fille, et ce n’était pas la mère qui veillait, d’ordinaire, le plus avant dans la nuit.

La lampe était pour beaucoup dans les rêves ambitieux de Michel. À vingt ans, ce n’est jamais pour soi-même seulement qu’on dore un blason imaginaire.

Par-dessus cette cour étroite et humide, d’une fenêtre à l’autre, des sourires allaient et venaient. Et que de fois Michel avait oublié la marche du temps, passant des heures charmantes à épier le travail ardu de la jeune fille !

C’était encore un roman, hélas ! un poëme, plutôt, tout plein de tendresses pures, d’humbles et chères promesses, d’espoirs enchantés, de craintes et de remords.