Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/360

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des épingles, et mettait en lumière, au passage, des papiers d’étude, lavis et dessins linéaires épars sur le guéridon. La fenêtre du logis d’en face était close ; mais ses pauvres rideaux de percaline, relevés à droite et à gauche, découvraient un de ces tableaux austères et touchants que le Diable boiteux, à l’affût de gaies aventures, surprend bien souvent quand il soulève les toits de Paris, la ville du plaisir : une femme amaigrie et très pâle, à qui la maladie bien plus que l’âge donnait presque l’apparence d’une morte, était demi-couchée sur son lit et travaillait.

À chaque instant elle s’arrêtait, vaincue par une évidente fatigue ; ses yeux éblouis se fermaient à demi ; à quiconque eût guetté ce suprême effort du besoin ou du devoir, la pensée serait venue, la pensée et l’espoir que la lampe allait enfin s’éteindre, en même temps que l’aiguille s’échapperait de ces mains tremblantes. Mais la lampe impitoyable continuait de briller : la main pâle et décharnée se crispait sur son œuvre, et dès que les yeux se rouvraient, l’aiguille allait, allait…

Il n’y avait personne avec la malade. Quand ses paupières abaissées reposaient un moment la cruelle lassitude de ses yeux, elle agitait parfois ses lèvres blêmes, mais c’était pour parler à Dieu.

Ce Michel, notre héros absent, était un bon garçon d’une vingtaine d’années ; taille haute et fine, l’air d’un gentilhomme, en vérité ! Il lui restait une chance pour être de noblesse, car il ne connaissait ni son père ni sa mère. Les meilleurs esprits, et Michel, notre héros, était un très bon esprit, ont leurs faiblesses, surtout quand l’ignorance de leur origine les promène tout naturellement dans le pays des rêves. Sur son vieux canapé-lit, Michel refaisait chaque soir le roman de sa propre destinée. Malgré certains souvenirs confus qui