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de miraculeux tableaux ? Julie ne songeait point qu’on la voyait, accoutumée qu’elle était à l’ombre de son arrière-boutique ; elle se donnait tout naïvement au bonheur de ses caresses maternelles. Le rayon l’enveloppait amoureusement, découpant les suaves lignes de son profil, massant ses cheveux prodigues, diamantant le sourire de ses prunelles et donnant à la grâce délicate de ses doigts roses je ne sais quelle idéale transparence. L’enfant tantôt la baisait, tantôt se débattait en de jolies révoltes. La croisée du fond s’encadrait de jasmins parmi lesquels pendait une cage où des oiseaux fous se démenaient. Le fourneau rendait des flocons bleuâtres qui allaient tournoyant dans la lumière.

Les cinquante regardaient cela : un groupe de Corrége dans un intérieur de Greuze.

Et comme, à un certain moment, Julie rougit depuis le sein jusqu’au front en s’apercevant qu’elle était en spectacle, ils eurent honte et se dispersèrent.

Julie ferma à demi la porte de son arrière-boutique et acheva de peigner son petit garçon.

C’était le moment où les élégantes de la ville de Caen venaient faire leur promenade. Nos cinquante don Juan avaient chacun plus d’une intrigue, bien entendu. Tel gaillard du jeune commerce, tout en séduisant Julie Maynotte dans ses rêves, payait le loyer d’une prolétaire et adressait des vœux insensés à une dame de la société. Jugez par là de ce qu’il en devait être des étudiants, encore plus effrontés, et des officiers, dont un poète a pu chanter :

Est-il beauté prude ou coquette
Que ne subjugue l’épaulette ?

Subjuguer est bien le mot.

Nous l’avons dit, la place des Acacias était à la mode.