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Sur l’impériale, Échalot et Similor, Arcades ambo, dialoguaient l’églogue sentimentale de leurs rêves. On ne sait pas bien quelle candeur peut s’allier, chez ces Osages de la grande ville, à l’absence complète de tout sens moral. C’étaient deux douces natures, pleines d’illusions enfantines et capables peut-être de bien faire, à la rigueur. Ils ne demandaient qu’à travailler ; seulement, ils voulaient choisir leur travail, attirés qu’ils étaient par une vocation commune et irrésistible vers cette chimère qui affole Paris et qui a nom la liberté. La liberté, comme ils l’entendent, consiste à ne pas subir le joug d’un métier. Ils se désignent eux-mêmes sous le vague nom d’artistes. Artistes de quel art ? Ils l’ignorent et peu importe. Ils vivent et meurent, tristes comiques du grand drame parisien, pauvres bonnes âmes, damnées par le mal de ce siècle qui répand ses contagions à toutes les profondeurs de la couche sociale.

Ils voulaient faire des affaires, ils voulaient parvenir, et, si modeste, si burlesque même que fût le but de leur ambition, ils n’avaient rien de ce qu’il faut pour l’atteindre. Fils bâtards de la féerie théâtrale qui tue le bon sens et met un voile idiot au-devant de la réalité, ils allaient poursuivant je ne sais quel idéal si extravagant, si impossible, que le lecteur ne le devinera pas sans un peu d’aide.

« Ça se trouve, disait Similor en soupirant gros, c’est la chance. Un bourgeois qui nous chargerait de tuer un petit enfant, pas vrai, pour empêcher le déshonneur de la famille… connu… des nobles, quoi ! Et alors on l’emporte, on a le bon cœur de l’épargner, on le met avec Saladin.

— Il aurait bien une marque à son linge, le petit noble, suggéra Échalot.