Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais qui remplaçait le duc, le neveu du ministre et le filleul de la cour ? M. Champion, de plus en plus heureux de son importance, nomma M. Lecoq avec emphase.

Vous vous attendez peut-être à voir ce nom ultra-bourgeois suivi d’un désappointement général. Erreur. Il y eut au contraire un de ces silences qui dénoncent un grand effet produit. Nul ne demanda ce qu’était M. Lecoq. On doit croire que chacun, ici, le connaissait au moins de réputation.

L’adjoint toussa, l’huissière déploya son splendide foulard, Céleste tint ferme le poisson. Le taciturne remit en poche son papier avec son crayon. Le beau parleur seul murmura :

« Il y a de drôles d’animaux dans la forêt de Paris ! »

Il disait vrai ; forêt ou non, Paris renferme les plus curieuses individualités qui soient au monde. Le fond de la mer, dévoilant un à un ses mystères, jette à la grève, de temps en temps, quelque bête apocalyptique qui fait parler pendant six mois les académies. Paris est plus profond que la mer ; Paris contient des êtres vivants, baptisés et même électeurs, capables d’étonner à meilleur titre que le serpent marin, mesurant soixante-sept mètres entre tête et queue, ou le grand calmar, monstre de gélatine, nageant avec des tuyaux d’orgue. Ces prodiges, niés par les uns, colportés par les autres, ont, par places et selon les quartiers, des réputations légendaires. Leur nom ne dit rien en soi : c’est la plupart du temps un nom innocent : Martin, Guichard ou Lecoq. Mais la gloire, doublée de mystère, peut donner aux plus vulgaires syllabes une foudroyante sonorité. Le nom de M. Lecoq était dans ce cas sans doute, car il produisit l’effet du quos ego de Virgile. La conversation, frappée d’un coup de massue, tomba et ne se releva point.