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avertissement au sujet du poisson. Ce diable de muet continuait d’écrire à l’aveuglette.

« Écoutez donc ! Écoutez donc ! reprit Adolphe. Je ne suis pas un âne, mais je porte des reliques. Diable ! j’ai les dépôts, le portefeuille courant et les espèces. J’ai eu chez moi la fortune du vieux colonel Bozzo, le grand-père de la comtesse Corona, et je ne vous en souhaite pas davantage. Dans quelques jours, j’aurai, avec notre fin de mois, la dot de Mlle Blanche… Eh ! eh ! feu Lacenaire n’aurait pas donné pour deux ou trois millions comptant l’affaire qu’on pourrait traiter avec moi, ce jour-là, à coups de couteau ! »

Cette allusion au mariage de la fille unique de l’opulent banquier changea subitement le cours de l’entretien. Chacun glosa. Le baron Schwartz n’était pas très aimé dans ce pays-ci, selon l’expression favorite de l’adjoint Tourangeau, mais on s’intéressait énormément à ses moindres actions. Quoique la jolie Blanche sortît à peine de l’enfance, ses deux millions de dot avaient produit leur effet : on ne donnait que la moitié aux filles du roi Louis-Philippe. Deux millions ! Il avait été question d’un duc. Voyez-vous cela ! un duc pour l’héritière de cet Alsacien, né sous un chou de Guebwiller ! Il avait été question du neveu d’un ministre, et question aussi d’un filleul de la cour. Deux millions ! Le daguerréotype était tout jeune, le fil électrique restait dans les limbes, on ne connaissait qu’une douzaine de planètes ; le siècle était enfant, malgré ses quarante-deux ans. Depuis lors, le million a fait comme le cachemire : tout le monde en porte ; il y en a de Ternaux.

Cependant, on disait : « Faut-il qu’un duc ait besoin ! »

Allez, il y en a qui ne sont pas à leur aise !