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— Il y a deux hommes en haut avec des chaussons de lisière ! interrompit Mme Champion.

— Elle fait preuve, à chaque instant, d’un véritable esprit d’observation, dit Adolphe. Ne lâche pas le poisson ! »

L’adjoint fouillait sa mémoire, car il était bien jaloux du voyageur disert.

« Il y a eu la bande Hug ! accoucha-t-il.

— Les cinquante-cinq ! égrena l’huissière, la bande Chivat, la bande Jamet, la bande Dagory. »

L’homme taciturne éternua. C’était le premier bruit qu’il faisait. Il mit la main à sa poche pour atteindre son mouchoir, et resta tout penaud : le mouchoir était absent.

« Vous l’aurez perdu, monsieur, lui dit l’adjoint, car il n’y a pas de voleurs dans ce pays-ci. »

Cette scène nous a entraînés déjà bien loin, dans les sentiers du réalisme ; mais nous n’irons pas jusqu’à dire comment on se mouche quand on n’a plus de mouchoir. Le voyageur muet en fut réduit à cette extrémité. Les deux dames sourirent ; la rentière développa un vaste foulard tout neuf, et Céleste dit :

« Adolphe, donne-moi le mien. »

Ce que fit Adolphe, à condition qu’elle prît garde au poisson.

L’espèce humaine est cruelle. La voiture entière se moucha. Le voyageur silencieux ne parut pas humilié. L’inconnu à la langue bien pendue continuait :

« Hein ? quelle forêt ! Soixante-treize condamnations pour la bande Carpentier ! Et pour parler d’hier seulement, Courvoisier, Mignard, Gauthier, Souque, Chapon qui menait plus de deux cents soldats à la bataille, les escarpes de Poulmann, les Vanterniers de Marchetti… Et ceux qui ne sont pas encore sous la