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mée, sa bourse restait vide. Edmée avait donné sa dernière pièce d’argent au contrôle du bateau-poste. Edmée, qui venait de refuser si fièrement l’aide de Mme Schwartz, Edmée, qui avait déposé sur la console du salon de la baronne, et malgré elle, un bijou perdu que non-seulement celle-ci ne réclamait pas, mais qu’elle déclarait formellement ne point lui appartenir, Edmée n’avait pas de quoi prendre la voiture de Livry à Paris.

Que lui importait cela ? elle se sentait forte. La fièvre en ce moment l’exaltait comme une ivresse. Il lui semblait tout simple d’entreprendre ce voyage de cinq lieues ; la distance eût-elle été double, que lui eût importé encore ? Son sein battait, sa tête brûlait ; devant ses yeux de larges éblouissements passaient, mais elle se sentait forte.

« Je sais tout ce que je voulais savoir, pensait-elle. Me voilà guérie, bien guérie ! Je n’aime plus ; croirait-on qu’il soit si facile de ne plus aimer ? »

C’était comme pour la route. Elle défiait l’amour au même titre que la fatigue.

Mais, à son insu, sa poitrine laissait échapper des sanglots et son pas chancelait.

Elle atteignit pourtant la lisière de la forêt où le chemin s’engageait brusquement sous une épaisse voûte de feuillage. Au bout de quelques pas, la nuit devint si noire qu’on avait peine à distinguer les objets. Edmée n’avançait presque plus, quoiqu’elle se dît toujours : « Je marche ! je marche ! » Il faisait nuit dans son cerveau comme au dehors ; elle n’avait pas conscience de la faiblesse qui garrottait ses mouvements comme un lien. Elle s’arrêta au pied d’un arbre et mit son front contre l’écorce en murmurant :

« Il faut marcher… Je marche !… »