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C’était Mme Schwartz qui, prévenue par Domergue, se rendait au salon, où l’attendait notre jeune fille du bateau, Mlle Edmée Leber. Trois-Pattes l’entendit qui disait :

« Il n’est pas nécessaire de déranger ma fille. »

Cette voix sonore et douce, mais ferme, produisit sur Trois-Pattes une impression extraordinaire. On eût dit un moment que cette lamentable créature, reptile humain, collé au sol, allait se redresser tout d’un coup comme un homme.

Il darda un regard en arrière ; son œil morne avait des éclairs.

Mais s’il avait désir, il avait peur aussi, car il se prit à franchir les dernières marches avec une étrange prestesse. Quand Mme Schwartz descendit à son tour, suivie par Domergue, l’escalier était vide.

Dans le salon, Edmée était toujours seule. Son charmant visage reflétait tour à tour l’expression d’une vaillance résolue et la vague atteinte d’un découragement profond.

Elle souffrait. La fièvre ne la laissait pas en place.

C’était en elle tantôt une torpeur affaissée, tantôt une sorte de maladive anxiété qui forçait le mouvement, et pour un instant teignait de pourpre la pâleur de sa joue.

En ces moments, un nom venait parfois à ses lèvres, un nom que nous avons prononcé déjà plus d’une fois, et qui naguère avait le privilège d’émouvoir assez vivement la grave indifférence de M. Schwartz : Michel…

Une fois, tombant de l’étage supérieur, une gamme brillante, galopée sur le piano, monta et redescendit toutes les octaves du clavier, comme un miracle de prestidigitation.

Edmée sourit au travers d’une larme.

Elle quitta la fenêtre pour revenir au portrait. Le