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à cette apparence incertaine qui trompe l’œil pendant trois ou quatre lustres. Le baron Schwartz n’avait pas d’âge.

Ce siècle parle de tout à la légère, et il faut que le misérable romancier caresse incessamment les méchantes habitudes de son siècle. Castigat ridendo, dit-on du grand Molière. Or, châtier en riant signifie chatouiller.

Si je suivais mes instincts de vénération, c’est à genoux que je tracerais le portrait d’un homme tel que le baron Schwartz. Il avait de l’esprit derrière son accent alsacien que les Gascons eux-mêmes cherchaient à imiter ; quoiqu’il n’eût pas fréquenté les collèges, il possédait de vastes connaissances, puisées dans le Dictionnaire de la Conversation ; il aimait les arts et leur donnait çà et là quelques cachemires ; il protégeait les lettres dans la personne de Sensitive, le poète, et du vaudevilliste Savinien Larcin, employé au Père-Lachaise ; il prêtait de l’argent aux rois, sans intérêts, pourvu qu’on lui rendît deux capitaux, et s’occupait, moyennant cent pour cent, des logements du peuple lui-même !

Ainsi fleurit et fructifie J. B. Schwartz quand il peut agripper au passage seulement un poil de la chauve occasion. En dehors de l’explication arithmétique, fournie par M. Cotentin de la Lourdeville, peut-être y avait-il bien quelque petite chose, mais il est certain que les millions actuellement possédés par l’opulent baron étaient le propre billet de mille francs, donné par M. Lecoq au lendemain d’une nuit orageuse dans un sentier désert, aux environs de Caen. Le miracle des noces de Cana multipliait les pains ; c’est l’enfance de l’art des miracles ; nous laissons ce soin frivole aux boulangers et, manipulant à loisir la souriante alchi-