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mains, et auxquels il fixait très adroitement les colis. À son côté pendait un sifflet que les cochers de la station du boulevard connurent bientôt : un coup de ce sifflet appelait un fiacre, deux une citadine, trois un cabriolet : au bout de huit jours, ceci fut réglé comme si Trois-Pattes eût touché des appointements du gouvernement. Pour la garde des objets, il n’avait pas son pareil ; quant aux discussions d’intérêt avec la buraliste, il vous arrangeait vos affaires en un clin d’œil. Vous savez la puissance de certains avocats sur le tribunal : Trois-Pattes gagnait toutes ses causes près de Mme Tourteau, maîtresse après Dieu de la cabane où s’inscrivaient les voyageurs et les bagages.

Et ne croyez pas qu’il mît beaucoup de temps à arpenter la cour du Plat-d’Étain. Ses mains étaient agiles, et il avait une merveilleuse façon de manœuvrer l’inerte fourreau qui renfermait ses jambes. Son allure ressemblait à celle d’un lézard, et les lézards vont vite, quoi qu’on ait dit sur leur paresse.

Un anonyme de génie lui trouva ce surnom : Trois-Pattes, qui peignait d’un trait sa lamentable infirmité. Personne n’ignore l’élan prodigieux qu’un sobriquet peut donner à une célébrité populaire. Mathieu l’estropié eût peut-être fait fortune ; Trois-Pattes fit tout uniment fureur, et ses collègues vaincus désertèrent la place.

Derrière la gloire, deux divinités viennent ; l’une rampe, montant du noir Tartare, et l’autre abaisse son vol, qui descend du ciel. Elles se nomment l’Envie et la Poésie.

L’Envie sema sur le compte de Trois-Pattes ces mille bruits qui tuent une faible réputation, mais qui enflent une grande renommée : elle accusa Trois-Pattes d’appartenir a la police ou de faire partie d’une asso-