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modeler (il faut des accidents), et l’endroit qui devait être montagne recevait des brouettées de terre aux dépens du lieu qui allait être vallée. Ce sont jeux de prince, écoutez, et jeux de millions ; il ne s’agit pas de dresser le mont Blanc, ni de creuser les gorges du Dauphiné ; la montagne n’aura que vingt mètres au-dessus de la vallée : pensiez-vous qu’il nous fallait les neiges éternelles ? Le cèdre du Liban sera bien là, et cela suffit pour placer les roches qui viendront de Fontainebleau : des roches terribles, reliées au ciment romain ! Si vous voulez rire, riez de notre agent de change qui n’a que soixante arpents à Verrières, avec quelques tonnes d’eau de Bièvre dans ce qu’il appelle une rivière : notre agent de change rit bien de son notaire qui se contente de cinq hectares à Colombes et qui tue un vieux cheval à monter l’eau de son bassin !

Chacun fait ce qu’il peut ; toutes les vanités sont respectables.

Le soleil allait se couchant derrière les arbres qui cachent au loin le clocher d’Aulnay-le-Bondy, quand notre jeune fille au voile noir du bateau-poste se dirigea vers la grille dorée de M. le baron Schwartz. Elle suivait l’avenue d’un pas assez rapide, mais mal assuré, presque pénible ; à la voir par derrière, vous eussiez dit une convalescente à sa première sortie. Tout en elle, du reste, confirmait cette pensée ; la fatigue courbait sa taille gracieuse, mais trop grêle, qui ne semblait plus faite pour la robe qu’elle portait. Deux ou trois fois, le long du chemin, elle fut obligée de s’arrêter pour reprendre haleine.

L’équipage de Trois-Pattes la rejoignit, quand elle n’était encore qu’à moitié de l’avenue, quoique M. Cotentin de la Lourdeville eût fait déjà son entrée. L’estropié la connaissait sans doute, car sa figure immobile