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la grandeur dans l’esprit. Le château seul lui déplut, parce que le baron Schwartz était fils du présent qui déteste le passé. Au lieu de morceler ce paradis et de le débiter à quinze sous le mètre pour en faire un de ces aimables séjours où les gens de Paris viennent bâtir des petites maisons délicieuses, avec un entourage comme les tombes au Père-Lachaise, il eut fantaisie de dépenser là une couple de millions ou davantage, selon les proportions que prendrait son caprice.

Ce n’était pas beaucoup pour lui ; sa maison de banque était la rivière du proverbe, où l’eau va toujours ; bien que sa noblesse financière ne remontât pas aux croisades, c’était déjà une vieille fortune, solide, sincère et largement basée sur un crédit européen : on disait de lui qu’il prêtait aux rois à la petite semaine.

Un palais tout neuf, voilà ce qui plaît ! un peu le style de la Bourse : cela rappelle d’émouvants souvenirs. Les choses gothiques, d’ailleurs, semblent railler l’argent, quoique l’argent se prenne parfois de passion pour l’ogive, pour les créneaux et même pour le blason. Autour de ce palais d’un blanc de marbre, les merveilles d’un parc dessiné à l’anglaise, le velours vert des gazons, brossé soir et matin, de l’eau diamantée dans un grand lac, propre comme un saladier, et dont la naïade habite un tuyau de fonte, des oiseaux vernis, des poissons peints, du gibier savant, enfin la nature décrassée et digne de nous : voilà ce qui enchante !

Donc, à deux cents pas de l’ancien manoir, en situation belle et bien choisie, les maçons étaient en train de bâtir le palais ; on traçait dans le parc le méandre des nouvelles allées, on comblait le saut de loup pour le reporter plus loin et enclore cent hectares de futaies, acquis récemment ; on battait la glaise au fond du lac déjà creusé ; le sol lui-même commençait à se