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Ce disant, l’orgueilleux montrait avec une triomphante modestie les goujons du pauvre voisin.

L’Aigle de Meaux, no 2, fila devant lui comme une flèche.

Le voisin, pendant cela, s’était coulé derrière la haie séparant le champ de luzerne du chemin de halage. Au moment où le bateau passait, il mit sa tête crépue à une ouverture de la haie et regarda de toute la puissance de ses yeux. Un frémissement nerveux agita bientôt son corps, sa face rouge devint blême et une larme brilla au bord de sa paupière.

« Ah ! Similor ! Similor ! murmura-t-il d’une voix plaintive, c’est donc bien vrai que tu trompes l’amitié ! »

Les grandes émotions sont courtes. D’ailleurs, Similor exerçait sur Échalot une attraction irrésistible. Du revers de sa main tremblante, ce dernier essuya ses yeux et s’élança. Mais il ne fit qu’un pas.

« Saladin ! prononça-t-il avec émotion ; j’allais oublier Saladin ! »

Il revint en arrière et prit dans une haute touffe de luzerne un objet de forme oblongue, dont la nature était assez malaisée à deviner, mais qui ressemblait pourtant à ces enfants de carton que le traître enlève au prologue des mélodrames et qui doivent, plus tard, devenir, selon leur sexe, le jeune premier ou la jeune première de la pièce. L’objet avait une courroie ; Échalot passa la courroie à son cou et jeta l’objet sur son dos en disant :

« Sois calme, Saladin ! »

Puis il prit sa course le long de la haie avec une rapidité que n’eût point promis sa lourde apparence. Son intention était évidemment de lutter avec le galop des chevaux. Il y eut bientôt sur son visage une