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À cinq cents pas de l’auberge il y avait un coude, et un taillis de châtaigniers s’étendait sur la droite. M. Lecoq arrêta brusquement son cheval, dès qu’il eut tourné le coude. Il regarda en avant, il écouta en arrière. La route était déserte.

M. Lecoq sauta hors de sa carriole ; il prit Coquet par la bride et le mena en plein taillis, par un petit sentier où la voiture avait peine à passer. Ce sentier lui-même fut abandonné à la première éclaircie qui se présenta. Coquet, violemment attiré, fit trou dans le taillis et la carriole se trouva hors de la voie.

En plein jour, on l’aurait vue aisément, cachée qu’elle était à peine ; mais la nuit, tout ce qui n’est pas dans le chemin tracé disparaît sous bois.

M. Lecoq détela son cheval, fit avec lui deux ou trois cents pas dans le taillis et l’attacha enfin au plus épais du fourré.

Cette besogne accomplie, il revint à la carriole. En un tour de main, son glorieux pantalon à carreaux fut remplacé par un pantalon d’ouvrier en cotonnade bleue, tout usé aux genoux ; au lieu de son élégante jaquette de voyage, il mit une blouse de toile et se coiffa d’un gros bonnet de laine rousse qu’il rabattit sur ses yeux.

Singulier accoutrement pour un rendez-vous d’amour !

M. Lecoq ôta ses bottes, dernier vestige de sa brillante toilette : il chaussa des pantoufles de lisière, et, pardessus, de bons souliers ferrés.

Nous affirmons que sa maîtresse elle-même aurait pu passer près de lui sans le reconnaître. Il se mit en marche. C’était, en perfection, un épais balourd du Calvados, demi paysan, demi-citadin, comme ils vont par centaines, abandonnant le travail des champs pour se faire manœuvres à la ville.