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dienne. Sa casquette, en forme de moitié de melon, venait de la Nouvelle-Orléans. Deux courroies, un peu moins larges que la buffleterie des gendarmes, soutenaient, d’un côté son nécessaire de pêche, de l’autre son garde-manger ; une boîte supplémentaire, contenant, sauf le respect qui est dû au lecteur, un assortiment recherché d’asticots indigènes et exotiques, pendait à sa ceinture de cuir verni. Près de lui reposaient des lignes admirablement montées, les unes simples, les autres à tourniquet, un vase d’argent plein de sang de bœuf et plusieurs filets à main pour soulager le crin, chargé de trop gros poissons.

Et le pêcheur lui-même était, s’il est possible, encore plus beau que son attirail. Il avait un toupet, sous son demi-cantaloup, un toupet blond, frisé à l’enfant ; ses joues pleines, rondes, appétissantes, gardaient cette fraîcheur luisante et légèrement couperosée de l’homme de cinquante ans, conservé avec soin ; ses membres étaient grêles, mais son ventre bien portant formait ballon sous sa casaque et la relevait en pointe de la façon la plus galante. Il tenait sa canne sérieusement et obéissait à la lettre aux prescriptions du Manuel des pêches fluviales, relié en maroquin rouge et doré sur tranches, qui ne le quittait jamais.

Il faut renoncer à peindre le mépris mutuel et profond que se témoignaient les deux pêcheurs. Le pêcheur à la ficelle qui prenait du poisson quittait la place de temps en temps et traversait le chemin de halage pour inspecter un objet déposé dans le champ de luzerne voisin, et chaque fois qu’il accomplissait ce manége, sa figure hétéroclite prenait une expression attendrie ; en revenant, il ne manquait jamais de regarder son voisin d’un air provoquant et narquois ; le pêcheur, propriétaire de ces engins perfectionnés, dont