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ruines, dont les bords avaient deux ou trois échancrures de plat à barbe ; les loques de son tablier montant recouvraient une large poitrine, et ses épaules carrées fatiguaient énergiquement le drap trop mûr de sa veste. Par contre, dans son pantalon, luisant de vétusté, au lieu des triomphants mollets de Similor, deux flûtes osseuses et cagneuses ballotaient, trop faibles, en apparence, pour supporter ce torse athlétique et cette grosse tête de nègre déteint. Entre lui et Similor, malgré une dose de laideur à peu près égale, c’était donc une dissemblance parfaite ; cependant, je ne sais comment expliquer pourquoi la vue de l’un faisait penser à l’autre. Il y a des rapports subtils qui associent sourdement les idées ; on appelle cela parfois « un air de famille » et ces deux-là, des pieds à la tête, appartenaient à la grande famille des pauvres hères parisiens.

Peut-on appeler pêcheur un homme qui laisse pendre dans l’eau une ficelle attachée à un bâton et munie d’une épingle recourbée ? Oui, s’il prend du poisson. Le pauvre hère prenait goujons sur goujons, en dépit de son instrument imparfait, et le lambeau de chollet, noué par les quatre coins, qui lui servait de filet, en contenait déjà une bonne assiettée, tandis que son voisin, le second pêcheur, n’avait pas encore accroché une ablette.

Celui-là, pourtant, était un vrai pêcheur, un pêcheur classique, porteur de tout un arsenal de destruction. Il avait aux pieds des souliers imperméables, recouverts par de longues guêtres en cuir-toile, fabriquées à New-York, tout spécialement pour la pêche de la baleine dans les mers polaires ; ces guêtres pinçaient une culotte de peau de daim, sur laquelle se boutonnait une casaque de marin, modèle anglais, étoffe cana-