Page:Féval - Les Habits noirs, 1863, Tome I.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans plus tard, l’estaminet devait fournir à la tribune où tonna Mirabeau l’élégante familiarité de ses métaphores.

« Il en mange ! » telle fut la première pensée du chapeau gris, qui ajouta en lui-même avec un frisson :

« Dire qu’on ne peut pas faire un pas dans Paris sans marcher dessus quelqu’un qui en mange ! »

M. Similor, tel que vous le voyez, était un ancien maître à danser de la barrière d’Italie. Jamais il n’avait choisi ses élèves parmi les princes ni parmi les banquiers : sa clientèle était au régiment et à l’atelier : il n’avait pas fait fortune. Doué d’une âme ambitieuse, Similor avait mis de côte son art pour entreprendre les affaires. Il a été jusqu’à présent impossible de savoir au juste ce que Similor entendait par « les affaires ; » mais il est certain qu’il voyait la vie en large et visait à un crédit illimité au restaurant du Grand-Vainqueur, avec trois cents francs de loyer quelque part et l’argent de poche pour trôner au balcon du théâtre Montparnasse. Des aspirations aussi folles peuvent mener loin, et nous ne répondons plus de Similor.

Peut-être descendait-il d’une famille historique par les femmes ; le mystère le plus absolu enveloppait sa naissance. Son nom ressemblait à un sobriquet ; il nourrissait en secret l’espoir de le rendre célèbre. Comment ? Les mémoires du temps sont muets à cet égard. On peut dire seulement qu’il appartenait, par ses talents, à cette école réaliste, si haut placée dans l’art, mais qui, en dehors de l’art, vend honnêtement des contremarques et rabat avec complaisance, pour un salaire facultatif et modeste, le marche-pied des voitures. Ce n’était pas un oisif, car tantôt il distribuait des prospectus de restaurant au coin des rues et tantôt il arrachait nuitamment les affiches de spectacle. On l’a-