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coffre-fort coûtait cher ; les négociations avaient duré du temps. D’autres richards se tâtaient déjà pour acquérir un meuble si utile. À Caen on ignorait le nom de Berthier et Cie ; on disait tout bonnement la caisse Lecoq. M. Lecoq était un jeune homme illustre.

Il ne faut pas s’imaginer que le commis-voyageur, arborant les carreaux cassants de son pantalon, l’arc-en-ciel de son gilet et les splendeurs sidérales de sa cravate, fasse purement preuve de mauvais goût. Non. Cela sert. C’est une publicité tout comme une autre. Ces violentes querelles entre couleurs attirent le regard et forcent la gloire. Voyez ce qu’on arrache de dents, en place publique, quand on a le courage de coiffer un casque ou un chapeau de général.

On disait, sur le passage de la carriole : « C’est M. Lecoq qui s’en va pour vendre d’autres caisses. Celui-là n’est pas embarrassé. Il n’a affaire qu’aux calés ! Ce n’est pas le pauvre monde qui peut protéger de même son petit magot contre les voleurs ! »

Quand M. Lecoq sortit de la ville, à la brune, par le pont de Vaucelles, il avait des centaines de témoins, prêts à constater son départ.

Cela prouve peu, puisque, en définitive, on peut revenir. Mais les circonstances insignifiantes sont comme les petits ruisseaux qui font les grandes rivières.

Tant que le crépuscule dura, M. Lecoq maintint son bidet au grand trot ; il adressa la parole à tous les charretiers qu’il croisa. La nuit venue, à trois quarts de lieue des faubourgs, il mit pied à terre à la porte d’une auberge pour allumer ostensiblement ses lanternes.

« Une jolie biquette, dit l’aubergiste en tapant la croupe de Coquet.

— Ça va trotter du même pas jusqu’à Alençon, répliqua M. Lecoq. Et hue !