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alluma un cigare à paille pour arpenter le pont. M. Similor le suivit ; il ôta son vieux chapeau gris avant de l’aborder et découvrit ainsi un de ces fronts terreux où la chevelure semble collée par le poids du mouchoir qui, désertant la poche percée ou déjà pleine, va chercher un asile sous le couvre-chef inamovible : habitude de sauvage ou de soldat, née de ce double fait que le sauvage n’a personne à saluer et que le soldat salue sans se découvrir.

« Conducteur, dit M. Similor cette fois avec une politesse tout-à-fait exagérée, quoique versé plus spécialement dans la danse des salons, dont j’ai tous les brevets, on a cultivé aussi la contre-pointe et l’adresse française à ses moments de loisir. On vous offre conséquemment une tripotée, comme quoi je suis mécontent de votre conduite grossière à l’égard d’un artiste tel que moi ! »

Le premier mouvement du capitaine fut un geste vif qui prouvait du nerf. Il était vigoureux et bien taillé. La conscience seule de la haute position qu’il occupait à bord de l’Aigle de Meaux no 2 l’arrêta.

« L’homme répliqua-t-il en baissant la voix, mes passagers ouvrent l’œil ; pas de scandale ! Vous avez ravalé un officier jusqu’au conducteur, ça mérite explication en lieu convenable. Vous me trouverez, soit à Meaux, soit à Paris, de deux jours l’un, au siège de l’administration, de midi à deux heures ; le soir, à l’hôtel du Cygne-de-la-Croix, à Meaux, et à Paris, à l’estaminet de l’Épi-scié, derrière la Galiotte du boulevard du Temple.

— C’est bien, conducteur, on a saisi ! dit avec gravité Similor qui remit son chapeau sur sa tête. Vous aurez votre compte en règle, avec les quatre au cent !

— Il fera jour demain ! » grommela le capitaine, en réponse à cette dernière menace.