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loin de parler d’indigence, et cependant toute sa personne, depuis ses pieds charmants, chaussés de trop fortes semelles, jusqu’à ses doigts mignons, déplorablement gantés, trahissait, en dépit de son costume, un tel cachet de distinction, qu’un lovelace parisien eût regardé à deux fois avant de se lancer contre elle : seul, don Juan campagnard, bronzé contre les avanies, ose à tort et à travers.

Ses grands yeux d’un bleu obscur, frangés de longs cils noirs, hardiment recourbés et contrastant avec les riches nuances de ses cheveux blonds, s’étaient relevés à demi quand notre voyageur, au vieux chapeau gris, avait prononcé le nom du château de Boisrenaud, et autour de ses paupières quelque chose brillait qui ressemblait à des larmes.

« Conducteur, répéta le chapeau gris en s’adressant de nouveau à l’audacieux navigateur de qui dépendaient les destinées de l’Aigle de Meaux no 2, j’ai l’avantage de redemander si nous sommes encore bien loin du château de M. Schwartz ? »

Je crois que c’est Bossuet, l’aigle de Meaux no 1, qui le premier traduisit en français l’étonnement du poète latin, admirant le triple airain dont était revêtue l’âme de l’inventeur de la navigation. M. Battu, le capitaine, habitué à regarder d’un œil froid les tempêtes du canal de l’Ourcq, fut blessé au vif par ce mot de conducteur.

« À qui croyez-vous parler, l’homme ? » répliqua-t-il fièrement.

Le chapeau gris repartit avec la dignité courtoise d’un raffiné d’honneur qui entame une querelle :

« Je ne méprise personne, mais je veux qu’on m’appelle Monsieur, devant mon nom de Similor, quand j’ai payé ma place intégralement comptant, au bureau ! »

Le capitaine haussa les épaules, tourna le dos et