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forme, riche et guerrier, avait compté trois fois son personnel payant, avec mélancolie. Ses rêves n’étaient pas couleur de rose, et il ne faut point s’étonner de la distraction qui l’empêcha de répondre à l’un de ses voyageurs, demandant à quelle distance on était encore du château de Boisrenaud.

Ce voyageur n’était pas, il faut le dire, de ceux dont le costume et la tournure imposent. Il eût peut-être attiré le regard d’un observateur, mais l’observation n’est pas le fort des capitaines de vaisseau qui montent et redescendent le canal. C’était un homme de trente ans ou à peu près, de taille moyenne, maigre dans la partie supérieure de son corps, mais possédant une paire de mollets admirables qu’il mettait en évidence avec une naïve fierté. Sa physionomie, peu accentuée et très douce, exprimait sur toutes choses le contentement de soi-même. Il portait, malgré la chaleur, un paletot de peluche frisée, de nuance tendre, usé aux coudes et trop étroit, une cravate noire, roulée sur un col de baleines, si haut et si raide que ses joues, un peu flasques, retombaient de chaque côté comme des linges mouillés ; une chemise invisible et un pantalon noir collant dans des chaussons de lisière. Sur sa tête, coiffée de cheveux blondâtres, un vieux chapeau gris perchait, ombrageant le sourire de ses traits longs et plats. Il se tenait droit, cambrait le jarret et souriait aux dames discrètement.

Il y avait des dames, entre autres une très belle jeune fille à l’air souffrant, timide et fier qui venait de rabattre son voile de tulle noir, pour ne point répondre aux politesses intempestives de deux malotrus, appartenant à la jeunesse dorée de Pantin. Elle lisait ou plutôt elle rêvait, en faisant semblant de lire, sous son voile ; sa toilette, d’une extrême simplicité, n’était pas