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Lecoq se pencha vers lui et lui caressa la joue du revers de ses doigts.

« Petite bagasse ! fit-il en prenant pour une fois le pur accent de la Cannebière. Nous y voilà, Jean-Baptiste, hé ?… Ta nuit ne sera pas longue. À deux heures du matin, tu sortiras de Caen par le pont de Vaucelles ; tu feras une lieue de pays en te promenant sur la route d’Alençon. À trois heures juste, je serai en avant du village d’Allemagne, dans le bois qui est à droite de la route… À bientôt, bonhomme, et dis ta leçon, ni plus ni moins… Hue, Coquet ! »

Coquet fit feu des quatre pieds et partit comme un trait, pendant que la fille, les garçons, maman Brulé, papa Brulé et les petits Brulé, souhaitaient à grands cris bon voyage.

Les soirées de juin sont longues. Il faisait encore jour quand M. Lecoq et son fringant bidet breton quittèrent la cour du Coq hardi, laissant ce malheureux J.-B. Schwartz au labeur de ses réflexions. M. Lecoq avait le cure-dents à la bouche et claquait son fouet comme un vainqueur en descendant les petites rues qui mènent à la rivière. Oh ! le gai luron ! qu’il portait bien sa casquette de voyage sur l’oreille et comme les coins du brillant foulard qui lui servait de cravate folâtraient gracieusement aux vents. Il souriait aux fillettes, en vérité, il envoyait des baisers aux marchandes sur le pas de leur porte, il provoquait les gamins et disait : « Gare-là, papa ! » aux bonnes gens qui se dérangeaient pour le laisser passer.

Et figurez-vous qu’on le connaissait bien. La caisse, vendue par lui à M. Bancelle, le riche banquier, était célèbre dans la ville de Caen : une caisse-fée qui défiait les voleurs et vous saisissait le bras du coquin comme un gendarme ! Paris ne sait qu’inventer ! Le