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peut-être ceux qu’on rencontre sur le chemin de la gloire. Dans une confrérie de gens résolus froidement et absolument, il passait à bon droit pour le plus résolu de tous. Ce sang-froid l’avait fait chef d’un clan mystérieux qui vivait de guerre et qui vivait bien.

Mais on n’est pas parfait, dit le proverbe. Ce conquérant, dont la ténébreuse puissance tenait en échec la police de la Restauration, ce légitime successeur du grand Coësre, du roi de Thunes, de l’archiduc d’argot et de tous les Pharaons qui, depuis Clopin Trouillefou, ont gouverné le fantastique royaume de Bohème, — car si les apparences et les noms sont changés, croyez-le bien, la chose reste ; la cour des Miracles est comme le temple de Jérusalem dont la destruction a donné l’univers aux Juifs ; tant que le monde sera monde, l’immense commandite du pillage existera et florira ; — ce souverain, disons-nous, ce pape de la religion des bagnes, ce demi-dieu, fort par lui-même et par l’association énorme dont il résumait en lui les forces, devenait faible comme un enfant devant Mlle Fanchette, petite fille de dix ans, dont il était l’aïeul.

Il se tourna vers M. Lecoq, et, le voyant blême d’effroi et de colère, il sourit avec triomphe :

« Hein, L’Amitié ?… murmura-t-il. Quel démon ! Par où a-t-elle passé ? Y en a-t-il deux comme cela dans Paris ? »

M. Lecoq haussa les épaules.

Fanchette les regardait en face tour à tour. Ses grands yeux hardis brillaient étrangement parmi la pâleur de son visage.

« Range-toi, dit-elle à Lecoq, pour que je voie le mort.

— Cela ne se peut pas… commença notre commis-voyageur.